18 Juillet 2024

Par

Jenica Poirier, directrice adjointe au CJE Option Emploi du Rocher-Percé

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L'intervention par... l'univers du jeu

Cet article fait partie de la série « Les CJE, une richesse d’approches et d’expertises », une initiative du Réseau des carrefours jeunesse-emploi du Québec. Son l’objectif est de mettre de l’avant la passion, le professionnalisme et l’ingéniosité des intervenant.es des carrefours jeunesse-emploi à travers le Québec en jetant la lumière sur leurs expertises et approches novatrices, surprenantes et diversifiées.

Ce mois-ci, Jenica Poirier, directrice adjointe au CJE Option Emploi du Rocher-Percé, nous partage comment elle et son équipe ont commencé à s’intéresser à l’intégration du jeu dans leurs stratégies d’intervention auprès des jeunes, tout en déboulonnant certains mythes qui entourent cette approche.  

Décris-nous ce type d’approche. Comment se définit-elle ? Quelles en sont les grandes caractéristiques ?

​Le jeu fait partie intégrante du développement des individus dès leur plus jeune âge. À mesure qu’ils forgent leur personnalité, la place que prend le jeu dans leur quotidien se transforme. On dit souvent des plus récentes générations qu’elles se vouent une dépendance au jeu et aux écrans. Pourtant, les formes les plus traditionnelles du jeu transcendent non-seulement les générations modernes, mais les époques de l’histoire. Les échecs en sont un flagrant exemple.

Au-delà de ce que le parent, l’intervenant, l’enseignant puisse voir, il existe une grande richesse à s’intéresser aux multiples formes de jeux qui passionnent le jeune. La ludification et la gamification sont deux concepts récents (années 2000) qui représentent à quelques différences près l’utilisation du jeu et de ses composantes dans différents contextes autres que pour l’unique divertissement. Que ce soit en contexte d’intervention ou dans le secteur éducatif, les possibilités sont quasi-infinies : le jeu via les technologies numériques, les univers fictifs issus ou non de jeux vidéo (lores), les formes classiques de jeux de table, les jeux de rôle, le grandeur nature, les jeux d’évasion, etc. Une grande richesse d’échange et des passions qui gagneraient à être utilisées dans le but de développer le potentiel du jeune.​ 

Comment utilisez-vous cette approche dans vos interventions au CJE ? Dans quel contexte ? Auprès de quel public-cible ?

​​Les CJE ont une habileté naturelle à répondre aux intérêts et aux besoins des jeunes. Les intervenants qui y évoluent combinent plaisir et apprentissages afin de créer des projets qui déploient le plein potentiel de la jeunesse du Québec. Au CJE OE, l’équipe d’intervenants s’intéresse graduellement à la ludification et entreprend certaines initiatives en ce sens, au rythme des jeunes.

​Il a été constaté dans les dernières années que bien que les jeunes soient hyper connectés au monde virtuel, il est difficile de créer des liens en dehors du numérique, particulièrement dans un contexte d’intervention et de recrutement pour des projets. La création du lien avec l’intervenant est plus difficile, mais également la conservation de la motivation à l’intérieur du parcours. Nous nous sommes donc intéressés aux idées qui génèrent un intérêt soutenu et qui permettent de créer des liens rapidement avec les jeunes. 

​Voici quelques exemples d’initiatives qui se sont concrétisées : 

  • ​Un comité de jeunes qui se rassemble chaque semaine pour discuter d’actions en lien avec le jeu vidéo et pour aménager une salle de Gaming ; ​
  • Des activités avec des casques VR pour explorer les métiers ou des sujets sensibles comme l’intimidation ; ​
  • Une bulle de jeux dans laquelle les jeunes sont invités de façon récurrente à venir jouer aux jeux dont ils ont envie (Magic the Gathering, échecs, jeux de société). 

​Plusieurs idées demeurent en suspens, telles une campagne de type Donjons et Dragons (D&D) ou un jeu d’évasion en nature. Nous avons également la plateforme Discord qui peut à l’occasion nous permettre d’échanger, de créer des communautés et des espaces d’échange virtuels qui facilitent la socialisation de certains jeunes pour qui le présentiel peut sembler intimidant au départ. Finalement, nos intervenantes jeunesse s’intéressent actuellement à l’utilisation de la méthode LEGO Serious Play dans plusieurs contextes (intervention, éducatif, cohésion d’équipe, développement personnel, etc.). ​

​À travers ces initiatives variées, les intervenants intègrent certaines valeurs ajoutées telles que de nouvelles compétences, un rehaussement de la confiance en soi, une plus grande autonomie et parfois, un réseau social enrichi.  Nous sommes en mesure de rejoindre une clientèle de jeunes beaucoup plus étendue et sommes confiants que ce type d’approche permette de créer des passerelles de recrutement avec les jeunes plus isolés comme les NEEF (ni en emploi, ni aux études, ni en formation). La ludification permet de reconnecter les jeunes au monde physique et leur niveau de motivation et d’engagement dans leur parcours peut être significativement amélioré.​ 

Quels sont les avantages et les défis (points de vigilance) de l’utilisation d’une telle approche ?

​​Comprendre les codes qui régissent ce langage commun du jeu chez les jeunes permet à une organisation de se démarquer et d’offrir un environnement ouvert d’esprit et favorable à plusieurs apprentissages. Les jeunes peuvent se sentir plus libres, s’émanciper momentanément des règles qui dirigent leur quotidien et se laisser gagner par la créativité et l’expérimentation. 

​Il faut bien sûr demeurer vigilants par rapport au caractère addictif des jeux, particulièrement ceux qui sont reliés à des écrans. Il importe de conserver un équilibre et d’inculquer aux jeunes la notion de saines habitudes de vie entourant les pratiques du jeu. Aussi, ce qui peut être plus ardu pour un intervenant, c’est de demeurer informé et à jour dans les pratiques de jeu, surtout si ce dernier n’est pas un gamer ou un geek.​ 

As-tu des outils ou ressources à partager pour ceux et celles qui aimeraient aller plus loin ?

​​L’univers du jeu, aussi vaste soit-il, gagne à être intégré dans les pratiques d’intervention et les stratégies de tout organisme qui œuvre auprès des jeunes. Que ce soit sous une forme ludique ou éducative, que le jeu vidéo ou le jeu de table soit utilisé, que le projet soit fait en individuel ou en groupe, les retombées seront potentiellement considérables. 

​Si je n’avais qu’à partager un seul outil pour vous aider à évoluer dans l’univers du jeu, ce serait celui-ci : Le jeune !  Il saura vous guider dans cette quête de connaissances sur le jeu et saura vous transmettre une passion insoupçonnée. Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’ouverture et de curiosité. Le reste se construira à travers l’expérience et les apprentissages ! 

Voici quelques sources d’information complémentaires :

https://gamificationfacile.fr/definition/ludification/origine-ludification/ 

https://r-libre.teluq.ca/2594/1/Plante_Angulo_Actes%20du%20Colloque%20ROC2021.pdf

https://seriousplay.training/lego-serious-play/

​Plass, J. L., Homer, B. D., & Kinzer, C. K. (2015). Foundations of Game-Based Learning. Educational Psychologist, 50(4), 258–283.  https://doi.org/10.1080/00461520.2015.1122533 

À propos de l'auteure

Jenica Poirier est une jeune gestionnaire issue du milieu communautaire, qui se passionne pour l’humain et son immense potentiel. Après avoir évolué dans plusieurs types d’organisations qui touchent le marché du travail, la jeunesse et la santé mentale, son chemin croise celui des Carrefours jeunesse-emploi et c’est un coup de foudre professionnel. Diplômée en psychologie et évoluant au CJE Option Emploi depuis 2021, elle utilise dans ses pratiques professionnelles plusieurs approches qui visent la mise en mouvement et l’implication sociale, que ce soit pour les équipes qu’elle accompagne ou la clientèle qui bénéficie des services de l’organisation.